Ciel, mon dentier !

La place des personnes âgées dans la famille : un rôle social très fort

Rassembler des données est une tâche complexe qui nécessite souvent de fastidieuses recherches et au cours de laquelle il faut sans cesse vérifier ses sources. C'est ce que j'ai fait aujourd'hui. Mes relations au Sénégal et en Ouganda m'ont fourni quelques renseignements importants, que j'ai traduits dans un tableau :

Indicateurs (en %)

Sénégal

Ouganda

Total des personnes âgées dans la population

5,4

4,7

Ménages comportant au moins une personne âgée

39,1

19,0

Hommes âgés vivant chez leurs enfants

6,6

0,9

Femmes âgées vivant chez leurs enfants

38,1

4,2

Hommes âgés vivant seuls

1,4

12,1

Femmes âgées vivant seules

1,1

12,3

Hommes âgés chefs de ménage

83,9

89,4

Femmes âgées chefs de ménage

15,6

52,0

Vous le savez maintenant, je n'aime pas énormément les chiffres ; toutefois, ils me paraissent indispensables ici pour mettre en évidence la situation familiale des anciennnes générations dans ces deux pays si proches, et pourtant tellement différents par certains aspects. Prenez, par exemple, le nombre de ménages qui hébergent au moins une personne âgée : l'écart est très net, n'est-ce pas ? Il en va de même pour la proportion d'hommes et de femmes âgés vivant chez leurs enfants. Dans les deux cas, les Ougandais ne semblent pas être très enclins à accueillir leurs aînés dans leurs maisons, tandis que la solidarité est plus forte au Sénégal, surtout envers les femmes. Cependant, ne jetons pas pour autant la pierre à l'Ouganda : la prise en charge d'un parent en difficulté requiert en général un investissement personnel important de la part de leurs descendants, et ceux-ci ne sont pas toujours capables de le fournir même s'ils le désirent. De ce fait, dans ce pays, beaucoup d'anciens des deux sexes se retrouvent seuls, ce qui constitue un véritable problème car ils en deviennent plus vulnérables. Mais l'intérêt de ce document est ailleurs, plus précisément dans les deux dernières lignes. On y remarque qu'à partir du moment où une personne âgée est présente dans un foyer, elle est presque automatiquement désignée chef de famille surtout s'il s'agit d'un homme ; il convient en effet de dire, sans se voiler la face, qu'une vision mysogine existe, et prédomine encore parfois, sur notre continent (comme sur le vôtre d'ailleurs). Toutefois, cette notion visant à faire de la femme un objet incapable de prendre de quelconques responsabilités est sérieusement battue en brèche par les Ougandais, où plus de la moitié d'entre elles se voient confier la direction d'un foyer (même s'il ne serait probablement pas incorrect d'attribuer en partie l'engouement de cet Etat pour l'autorité féminine à une conséquence du SIDA, qui décime sa population juvénile en plus grand nombre que celle du Sénégal et oblige les aînés à se placer à la tête de la hiérarchie familiale). Le Sénégal fait néanmoins figure de mauvais élève à cet égard, preuve que chaque pays africain possède ses forces et ses faiblesses.

 

Village africain typiqueDans tous les cas, malgré les disparités, j'espère avoir réussi à vous convaincre de l'utilité des personnes âgées sur notre terre farouche et sauvage. Si ce n'est pas encore fait, permettez-moi de vous citer un exemple bien plus proche de notre village. La femme que vous voyez là-bas, en train de coucher ses arrière-petits-enfants avec une douceur incomparable, se prénomme Tamara. Elle a donné naissance à deux garçons : l'un est parti en Europe, espérant y trouver une situation meilleure, et elle est malheureusement sans nouvelles de lui, tandis que l'autre, le cadet, a décidé, devant la douleur maternelle, de rester auprès d'elle. Il y a vingt-deux ans maintenant, il a été emporté par le paludisme ; son âme s'est envolée, elle est partie au firmament des cieux, en compagnie de celles de tous les Hommes qui ont quitté cette vie. Tamara, pour sa part, a continué le combat : la femme de son tout-petit s'étant enfuie suite à son décès, elle lui laissait un enfant en bas-âge sans protection dont elle a pris la charge. D'abord entouré de ses deux grand-parents, le bébé a grandi, s'est marié et a à son tour découvert les joies de la paternité. Seulement, après la disparition de son grand-père, il a sombré dans une dépression intense, ne pouvant supporter continuellement la douleur atroce d'une blessure qui ne cicatrise jamais complètement. Le bonheur s'est changé en malheur, il a perdu son emploi, et sans les soins constants prodigués par son entourage, nul ne sait ce qu'il aurait pu advenir de lui. Tamara l'a forcé à se redresser, à regarder dans les yeux cette existence si cruelle, à la défier en lui montrant qu'il pouvait vivre malgré tout. De cette manière, il s'est peu à peu repris en main, tandis que sa femme est parvenue à se faire engager dans une entreprise de la région pour subvenir aux besoins de la famille. Aujourd'hui, notre vaillant Karam écume les villes en quête d'un employeur pendant que celle qu'il appelle sa "bienfaitrice" veille sur sa progéniture ; ainsi, il part chercher du travail en toute confiance car il sait que la chair de sa chair est bien gardée. Alors, chers étrangers, au terme de votre séjour en ces lieux, il vous faut me promettre une chose : c'est de, quoi qu'il arrive, toujours vous accrocher, ne jamais renoncer devant la première difficulté. Mais surtout, de réfléchir à ce que des gens tels que moi, des vieillards, sont en mesure de vous apporter : vous vous rendrez compte qu'ils recèlent beaucoup plus de richesses que vous ne pouvez l'imaginer. Sur ce, bon retour en France !

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