Ciel, mon dentier !

Interview gérontologique : Pierre CZERNICHOW

Photo de l'interviewé...

Nous avons poussé la porte du service "Epidémiologie" du CHU Charles Nicolle de Rouen, afin de rencontrer un homme qui s'intéresse de près aux thèmes tournant autour des personnes âgées. La gérontologie, un métier ? Détrompez-vous ! Et suivez le fil de la conversation pour mettre à l'épreuve d'autres éventuelles idées reçues... 

Interview réalisée le mercredi 9 décembre 2009 aux alentours de 15h30

Question : Nos recherches nous ont amenés à balayer le champ d’étude de deux spécialités couramment associées aux personnes âgées, la gérontologie et la gériatrie. Pouvez-vous nous expliquer la différence qui existe entre ces deux mots ?

Réponse : La gérontologie, il faudrait regarder dans un dictionnaire ce que cela veut dire exactement, disons que c’est un champ d’étude et d’action qui concerne les personnes âgées, et traite donc de toutes les dimensions pouvant les toucher, de près ou de loin : leur psychologie, leur caractère sociologique, leurs caractéristiques économiques, leurs ressources, leurs logements, etc. La gériatrie, pour sa part, est une spécialité médicale : les gériatres sont des médecins qui soignent des gens malades et qui se sont spécialisés dans les maladies des personnes âgées. Mais attention : la gérontologie n’est pas un métier, plutôt un vaste domaine de compétences dans lequel sont investis et travaillent différents professionnels, dont des gériatres ou encore des travailleurs sociaux, qui ne sont pas à proprement parler des « gérontologues » car personne ne l’est ! Moi par exemple, ma véritable spécialité c’est la santé publique : ça a quelque chose à voir avec la gérontologie, car je m’intéresse aux questions de santé vues sous l’angle collectif, y compris celles qui touchent les personnes âgées, mais je ne suis pas quelqu’un qui soigne quotidiennement des malades âgés. En résumé, la gériatrie n’est qu’un tout petit élément d’un vaste ensemble gérontologique, qui concerne également les élus puisque qu’il y a la question de « Comment la société s’organise-t-elle pour faire une place et répondre aux besoins des personnes âgées ? ». Voilà ce qu’on peut dire sur cette différence fondamentale entre les deux termes. 

Q. : N’existe-t-il pas des associations pour s’occuper des problèmes soulevés par la gérontologie ?

R. : Si, bien sûr, il y a par exemple la Société de Gérontologie de Normandie que j’ai présidé jusqu’à cette année et dont l’action s’étend sur les deux régions normandes, Haute et Basse-Normandie. Aujourd’hui, j’en suis le vice-président. On y trouve des gériatres, ce sont peut-être les plus nombreux d’ailleurs, mais aussi des soignants, des infirmiers, des travailleurs sociaux, des psychologues, des gens qui travaillent dans les conseils généraux… A ce propos, savez-vous ce qu’est un conseil général ?

- Les organismes chargés de gérer un département, non ?

- Oui, vous savez que dans notre système politique, il y a quatre niveaux : les communes avec les conseils municipaux et les maires ; les départements, administrés par une assemblée composée de conseillers généraux ; les Régions ; et l’Etat. Et puis j’ai dû oublier aussi l’Europe, ce n’est pas négligeable ! Donc le département, c’est une instance politique qui a une responsabilité importante vis-à-vis de la population âgée, notamment dans tout ce qui touche les questions sociales de dépendance ou de perte d’autonomie, soit les conséquences des problèmes de santé qui gênent les gens dans leur vie quotidienne, avec des choses qu’ils ont du mal à faire tout seuls, sans aide. Nous, on s’intéresse plus aux conséquences des problèmes de santé qu’à leurs causes ; on s’intéresse à pourquoi une maladie gêne la vie quotidienne de quelqu’un. 

Q. : Concrètement, à quoi sert la Société de Gérontologie ? Et est-ce qu’il existe d’autres structures semblables à l’échelle française ?

R. : Il y a bien une Société Française de Gérontologie et de Gériatrie, mais si j’étais très honnête je vous dirais qu’elle s’occupe surtout de gériatrie. La société normande, bien qu'elle en soit une filiale, met plutôt l’accent sur l’aspect gérontologique au contraire. Eux, ils vont beaucoup s’intéresser aux maladies des personnes âgées, la maladie d’Alzheimer, de Parkinson entre autres, mais aussi sur leurs répercussions sociales. Ces associations, ces sociétés régionales ou nationales ont à peu près toutes la même fonction : tous les gens qui en font partie ont un boulot quelque part, que ce soit dans un hôpital, une clinique, une structure sociale, un département, une mairie ou une association. Et chacun a quelque chose à voir dans son activité avec la population âgée. En revanche, je vais vous donner un exemple : vous êtes, mettons, cadre infirmier dans un service de gériatrie. Vous vous intéressez aux questions de gériatrie, forcément, mais dans votre vie professionnelle, vous vous y intéressez par le biais de votre établissement, vous défendez uniquement ses centres d’intérêt à lui. Choisir d’adhérer à une association, c’est considérer que le contexte dans lequel on travaille est trop étroit, ou défend des intérêts trop particuliers, et c’est chercher à établir des liens avec d’autres professionnels qui s’intéressent aux mêmes sujets que vous mais en n’ayant pas cette espèce de limitation liée à l’établissement. Si vous êtes dans les services du conseil général, autre exemple, vous avez à juger de la situation de personnes âgées qui demandent des aides et décider si elles sont en état de les recevoir ou pas : ça c’est une vue un peu restrictive, vous êtes payé pour faire ce boulot-là, mais en même temps vous avez le droit de vous dire que vous avez envie d’entendre d’autres voix, vous voyez ? Donc la société de gérontologie, c’est un lieu d’échanges où on peut à la fois avoir des informations et participer à des réunions locales organisées environ quatre fois par an. Ainsi, cette année, on est allé au Havre et les collègues responsables ont organisé, sur toute une journée, une grande manifestation où plusieurs centaines de personnes sont venues pour discuter ou écouter des exposés concernant des sujets de gérontologie !

Q. : Parlons de votre expérience personnelle : comment avez-vous découvert la gérontologie ?

R. : C’est un peu anecdotique… J’avais un très très bon collègue, Jean-Claude Henrard, à la retraite aujourd’hui (ça arrive à tout le monde !), qui était enseignant de santé publique comme moi tout en ayant reçu une formation un peu différente de la mienne : il se destinait en effet à la rhumatologie et s’est intéressé très tôt dans ses études à des gens malades pour des problèmes d’articulations, de choses dans le genre. C’est quelqu’un de très enthousiaste, de très remarquable, pour qui j’ai beaucoup d’admiration, il a même pris des responsabilités politiques dans l’un des premiers Secrétariats d’Etat aux Personnes Agées aux alentours de 1980, et c’est probablement lui, je pense, qui m’a transmis cette passion !

Q. : Que défendez-vous au sein de la Société de Gérontologie ?

R. : Je m’occupe plutôt des dossiers concernant le vieillissement de la population d’un point de vue sociologique, démographique et surtout épidémiologique puisque c’est dans cette branche que je travaille.

Q. : Au niveau des structures, vous évoquiez le Secrétariat d’Etat aux Personnes Agées, mais existe-t-il d’autres organismes susceptibles de les prendre en charge ? Qu’est-ce qui est mis en place dans cet objectif ? Nous pensons par exemple au CNRPA, aux CODERPA…

R. : Il y a énormément de structures, et plein de sigles. Le tout, c’est de prendre le problème par un bout en les regroupant. D’abord, il y a les structures nationales, comme le Secrétariat d’Etat, c’est-à-dire des structures politiques qui interviennent dans les prises de position du gouvernement sur des questions qui renvoient soit à la santé des personnes âgées, soit à leur dimension sociale, même si les deux choses sont assez liées parce qu’il est exceptionnel de trouver des questions de santé dans lesquelles il n’y ait pas en même temps des questions sociales. Une personne âgée souffrant de problèmes de santé, rapidement vous allez lui trouver autre chose derrière : des problèmes pour se déplacer, manger voire s’habiller en fonction de la gravité de la maladie. Donc la proximité entre le domaine social et sanitaire est typique de l’étude des personnes âgées. Du coup, cela pose des problèmes du côté de la protection sociale : il faut savoir comment les gens sont aidés face à leurs problèmes de santé. Pour cela, on doit déterminer s'ils bénéficient ou non d’aides naturelles fournies par les aidants, c’est-à-dire l’entourage, dans leur vie quotidienne.

Q. : Qui sont les aidants ?

R. : C’est d’abord le conjoint, s’il est encore en vie, car le fait que les hommes meurent plus jeunes que les femmes doit être pris en compte ici.

- A quoi est dû cet écart d’espérance de vie entre les sexes ?

- Au fait que les hommes picolent et fument.

- Une situation qui est train de changer, n’est-ce pas ?

- C’est vrai, les femmes se mettent aussi à picoler et à fumer (Rires). Mais les hommes ont quand même pris pas mal d’avance… Et puis les conséquences du tabac sur la santé se manifestent à long terme, donc l’évolution assez récente que l’on perçoit dans le nombre de femmes adeptes de la cigarette commence tout juste à se ressentir sur leur espérance de vie. Il y a encore beaucoup de choses à venir de ce côté-là. Mais revenons aux aidants. Le numéro un c’est le conjoint, sauf qu’il craque rapidement si la charge est trop lourde. Toute la difficulté est là, dans le caractère sentimental de l’aide apportée : si vous aidez votre conjoint, c’est par affection, mais en même temps, si votre conjoint est très malade, vous ne pouvez pas faire ça sans craquer à un moment ou à un autre. On a compris depuis quelques années que le fait d’avoir un conjoint en vie pour s’occuper d’un malade ne signifiait pas pour autant que les personnes concernées allaient bien, alors on a dit : « il faut aider les aidants » en leur trouvant un moyen de souffler un peu (partir en vacances, etc.). Pour remplir cette tâche, il existe des systèmes d’hébergement temporaire, comme à Dieppe où le personnel organise des séjours de 7 à 15 jours pour les personnes ayant des problèmes de santé, ce qui permet à l’aidant de se reposer. Sans cela, il serait impossible pour lui de tenir sur le long terme. Après le conjoint, il y a les enfants mais ils sont souvent mobiles, pas forcément présents. Parmi eux, ce sont d’ailleurs surtout les femmes qui s’occupent de leurs parents, le problème étant que comme un nombre croissant d’entre elles travaillent (plus de 50 % aujourd’hui contre 30 % il y a 30 ans), elles sont de moins en moins disponibles pour leurs ascendants et comme elles ont des enfants à un âge plus avancé (28-29 ans), les tracas posés par la prise en charge parentale surviennent plus tôt dans le parcours de ces derniers. De ce fait, face aux limites des aidants naturels, la société est contrainte de s’organiser, mais elle est obligée de traiter le sujet sous un angle collectif même si cela consomme beaucoup d’argent car si elle ne propose que des « services à la personne », individuels donc très coûteux pour ceux qui les réclament, elle crée une inégalité entre les personnes riches et les personnes pauvres. C’est pourquoi le sujet des personnes âgées est très épineux.

Je me rends compte que je n’ai pas entièrement répondu à votre question sur les structures d’aide et d’accueil. En-dehors des organismes politiques nationaux, il y a des organismes départementaux dont le rôle est capital dans la mesure où les aides sont distribuées en grande partie à ce niveau. Par exemple, les CLIC, Comités Locaux d’Information et de Coordination, constituent des guichets où les personnes âgées, ainsi que leur famille, peuvent trouver des informations sur les établissements qui leur sont dédiés ou effectuer un bilan sur leur situation en vue de savoir de quoi elles ont besoin. Certains sont même encore plus avancés et prennent eux-mêmes les dispositions nécessaires à l’entrée dans les établissements ou à la mise en place d’un système d’aide à domicile.

Q. : A partir de quel « degré de dépendance » doit-on choisir de placer une personne âgée en maison de retraite ?

R. : La façon dont vous posez le problème est très intéressante : vous vous mettez d’emblée dans une situation où ce n’est pas à la personne elle-même de décider, mais à ses aidants. Cela pointe un des sujets majeurs dans le domaine de la gérontologie, à savoir la dimension éthique et morale dans la détermination du moment à partir duquel on considère que les gens ne sont plus capables de décider par eux-mêmes. Vous, à votre âge, vous faites ce que vous voulez de votre peau : quand vous êtes majeur, vous êtes libre de toutes vos actions dans les limites de la loi. En revanche, dans le cas des personnes âgées, l’image de démence sénile, de maladie, de perte de la raison nous incite insensiblement à décider à leur place. Cette perte de liberté est d’ailleurs parfois discutable car on a tendance à sous-estimer les possibilités des personnes : les familles disent très vite qu’elles sont incapables de s’assumer alors que ce n’est pas toujours vrai. Cela part pourtant d’un bon sentiment, mais je crois qu’il faut quand même être très attentif à demander l’avis des gens aussi longtemps que possible même si ce n’est pas évident.

Q. : Pourquoi voit-on la vieillesse d’une façon si péjorative ?

R. : A votre avis ? Vous avez sûrement une idée de la réponse…

- Nous avons cru remarquer que lorsqu’on commence à assister les gens, en créant des maisons de retraite ou autres, l’idée de dépendance se propage plus facilement. En Afrique, il n’y a pas vraiment de prise en charge publique mais du coup, quand quelqu’un arrive à un âge avancé, on a moins tendance à décider pour lui !

- Plusieurs choses là-dedans. Premièrement, en parlant de l’Afrique, il faut immédiatement ajouter que l’espérance de vie y est plus faible que chez nous, donc qu’il n’y a pas des tonnes de « vieux » là-bas.

- Mais ceux qui sont là, on les respecte.

- Tout à fait. Parce que nous n’avons pas les mêmes valeurs et parce que, comme le disait le sociologue Alain Touraine, notre société met en avant la production. En effet, elle considère que les plus « forts » sont ceux qui sont impliqués dans ce processus et que les autres, les jeunes, une partie des femmes, et les « vieux », qui ne produisent pas, sont marginaux. Mais, et c’est mon deuxième point, je pense que votre question pourrait tomber dans le cadre d’une autre discipline. Avez-vous entendu parler de Claude Lévi-Strauss ? C’est un anthropologue, récemment décédé, qui a étudié les ethnies et en particulier la façon dont les hommes pouvaient avoir des réponses très différentes aux mêmes questions à travers les sociétés. Il a lui aussi établi qu’en Occident, on mettait souvent les personnes âgées dans un clapier. Troisièmement, une mise au point s’impose sur les maisons de retraite : imaginez-vous qu’il y a à peine 50 ans, il y avait moins de « vieux », la vie était assez simple, les vieux riches restaient chez eux, puisqu’ils pouvaient financer eux-mêmes leurs soins, et seuls les vieux pauvres allaient en maison de retraite. Celles-ci étaient souvent publiques, financées par la collectivité, et s’appelaient des « hospices ». Les gens allaient y finir leurs jours dans des conditions misérables dues à des installations inconfortables, mal équipées, tristes comme la mort, et souvent assez tôt, dès qu’ils n’étaient plus en état de travailler ou de vivre chez eux. Cette vision a complètement changé de nos jours, dans plusieurs sens. D’abord, je crois que la distinction n’est plus sociale mais sanitaire : les personnes qui intègrent des maisons de retraite sont, déjà, beaucoup plus vieilles qu’autrefois (80-85 ans en général), et y entrent uniquement quand elles sont au bout du rouleau sur le plan de leur santé. Elles sont donc malades et dépendantes, et y vont non seulement parce que, socialement, elles ne peuvent plus vivre chez eux, mais principalement parce qu’elles ont besoin de soins. C’est ainsi que le terme « maisons de retraite » est désormais dépassé, et qu’on préfère parler d’EHPAD, Etablissements Hébergeant des Personnes Agées Dépendantes : le sigle parle de lui-même !

Q. : Parallèlement, est-ce que les personnes âgées représentent un problème, au sens propre, pour l’Etat ? On entend souvent dans les médias qu’on ne sait pas quoi en faire, les débats sur les régimes de retraites se multiplient : pourquoi cela ?

R. : Il conviendrait immédiatement d’ajouter « pour qui est-ce un problème ? ». Si vous prenez le point de vue des « vieux » et le point de vue des responsables politiques, vous n’aurez peut-être pas les mêmes réponses !

- Mais l’image donnée par la presse, la radio ou la télévision est celle d’une vieillesse à la source de nombreuses difficultés.

- Vous savez, les médias portent souvent une idée qui court dans la société, ils n’inventent rien. Bon, ils peuvent renforcer certains aspects, mais ils n’ont pas tant d’imagination que ça. Je dirais que ce que l’on voit avec ces propos-là, c’est la valeur que la société accorde à la population âgée, c’est-à-dire le poids représenté par les soins, les aides sociales, le versement des pensions de retraite, etc. Maintenant, si vous posez la question : « Qu’est-ce que la société attend des vieux ? », la réponse est « Pas grand-chose ! ». Vous parliez tout à l’heure de l’Afrique. Je ne connais pas très bien le sujet, mais il me semble que la société africaine, au contraire, attend quelque chose des personnes âgées : une expérience, une certaine valeur, un soutien moral, ou quoi que ce soit d’autre, mais quelque chose de positif en tout cas, alors que nous, ce n’est pas notre truc.

Q. : Est-ce que cette vision peut évoluer, et comment ?

R. : Tout peut changer !

- Ou, si vous préférez, est-elle en train de se modifier actuellement ?

- Je suis, comme vous, frappé par ce discours très alarmiste selon lequel « il y aura de plus en plus de vieux demain, et ils nous poseront des tas de soucis »… Disons que ça peut changer, mais que ce serait une évolution lourde et qu’on n’en prend pas le chemin en ce moment.

Nos remerciements à M. CZERNICHOW pour nous avoir accueilli et pour avoir éclairé notre lanterne sur les personnes âgées !

Et nos excuses à la langue française écrite : nous avons choisi de privilégier le plus possible une retranscription fidèle des paroles prononcées, au détriment parfois des règles habituelles de syntaxe ou de vocabulaire...

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